Souvenirs autour de La Bachellerie

Georges-Louis Baron

Document de travail
Version du 16/12/22

 

La Bachellerie est le berceau d’une partie de ma famille maternelle. Mon grand-père Gabriel Lauvergnat et ma grand-mère Jeanne Denis sont les derniers à y avoir résidé de manière permanente. Ce sont ses ancêtres maternels à elle, les Raffaillat (ou Rafaillat), qui ont habité La Bachellerie dès avant la révolution de 1789.

Depuis mon plus jeune âge, je viens au village très régulièrement et j’y suis même allé à l’école dans les années cinquante pendant quelques mois, je ne sais plus pour quelle raison. Encore maintenant, avec Monique (qui fréquente avec moi la commune depuis 50 ans) nous retournons dès que nous le pouvons dans la vieille maison, construite par un ancêtre (Sans doute Michel-Antoine Raffaillat, époux de Céline Delbonnel) au milieu du XIXe siècle.

J’ai donc pour le lieu un intérêt et une tendresse particuliers, qui expliquent sans doute mon engagement dans la publication du livre de souvenirs et de réflexion récemment paru :

Marquet, M., Moreillon, Arlette, & Baron, G.-L. (dirs). (2022). La Bachellerie au fil du temps. Témoignages sur un bourg périgordin. http://www.mutatice.net/data/bach-2022-08-24.pdf.

Dans ce livre, je me suis volontairement abstenu de témoigner. Mais j’ai énormément de souvenirs d’un mode de vie maintenant révolu (encore que nul ne sache ce que l’avenir nous réserve…). Parmi ces derniers les plus vifs, bien sûr, sont ceux de l’enfance et de la jeunesse. En voici quelques-uns, très subjectifs.

Mon grand-père Lauvergnat était un personnage considérable. Né en 1884, il était fils d’un chef de station aux chemins de fer, qui était en poste à La Bachellerie au début du XXe siècle (cela explique la rencontre de son fils avec ma grand-mère). Après une école professionnelle à Limoges, il avait réussi le concours de l’école des Arts et métiers d’Aix en Provence (promotion 1901 je crois) et a fini sa carrière comme chef de dépôt à la SNCF à Périgueux au début de la seconde guerre mondiale. Pendant celle-ci, mes grands-parents résidaient à La Bachellerie et ont fait de la résistance, protégeant des Juifs et des résistants, alors que ma mère, arrêtée à Paris en février 1942 pour action de résistance, était incarcérée en Allemagne puis déportée à Ravensbrück1.

Leur maison a failli brûler quand la division SS Brehmer a mis à feu et à sang le village en mars 1944. D’anciens résistants venaient de temps en temps à la maison dans les années 50-60. Il y avait des discussions où nous les enfants ne comprenions pas grand-chose, mais suffisamment en tout cas pour savoir qu’il y avait eu de l’action violente et du courage.

Mon grand-père me semblait savoir tout faire. On peut affirmer sans médire de lui qu’il était quelque peu autoritaire : il savait ce qu’il convenait de faire et de ne pas faire. Les repas devaient avoir lieu à

12 heures et à 19 heures précises (sur la foi de la sonnerie de l’angélus de l’église voisine), pas avant et pas après, SNCF oblige.

Par contraste, ma grand-mère était la douceur même mais savait garder le cap qu’elle avait choisi. Elle avait un contact extraordinaire avec les animaux domestiques (chiens, chats…) et a vécu jusqu’à 93 ans, malheureusement un peu diminuée après 90 ans. On s’est rendu compte que cela n’allait pas quand elle a commencé à donner, aux chats, au lieu de leurs boîtes de pâtée, les boîtes de pâté de foie de canard que ma mère confectionnait chaque année.

Quand j’étais jeune, il n’y avait pas l’eau courante. Mes grands-parents avaient une citerne d’eau de pluie de 7 m3 et un puits dont l’eau était régulièrement analysée (verdict immuable tant que les analyses ont été faites : eau potable). Les voisins devaient pour la plupart aller à la pompe publique (dont subsiste toujours la façade dans la rue de la République) ou utiliser leur propre puits s’ils en avaient un.

En revanche, il y a eu un poste de télévision dès la fin des années cinquante, en noir et blanc, alors qu’il n’y avait qu’une chaîne, qui émettait à certaines heures seulement. Le reste du temps, on pouvait voir une « mire ».

Un souvenir particulièrement vif est celui du froid dans les chambres les soirs d’hiver, qui contrastait avec la chaleur que procurait le chauffage central à Paris. Il y avait bien la cuisinière en fonte dans la cuisine et des poêles à bois fonctionnels dans les autres pièces, mais, s’ils dégourdissaient l’atmosphère le soir, ils s’éteignaient dans la nuit, faute de combustible. On se couchait dans un lit où une bouillotte avait été préalablement introduite. Ainsi, on avait moins froid aux pieds et cela aidait à s’endormir. Chaque année, du bois était livré en longues bûches. Quelqu’un venait avec une scie circulaire motorisée pour les réduire à une taille adaptée aux poêles. On rangeait ce bois dans le bûcher, d’où on le montait périodiquement dans les pièces de vie.

Bien entendu, les normes n’étaient pas les mêmes qu’actuellement : les toilettes étaient au rez-de-chaussée, à côté du lavoir. L’installation de la salle d’eau qui y était située était moderne : il y avait une fosse septique pour les w.-c. et une baignoire avec un beau calorifère en cuivre. Mais les chambres au 1er étage étaient situées 2 étages au-dessus. La nuit on utilisait des seaux, d’abord en tôle émaillée puis en plastique, qu’on allait vider le matin. C’était un autre temps.

Le centre du bourg était animé et la vie sociale assez intense. Le jour, les gens s’approvisionnaient dans les diverses boutiques où on trouvait à peu près tout ce dont on avait besoin (boucherie-charcuterie, épicerie, quincaillerie, tabac). On pouvait même aisément faire réparer sa bicyclette… Le café était un lieu actif de détente et d’échange d’information.

Le soir, les jeunes allaient sur la place principale qui n’avait pas encore sa fonction principale de parking, et où il y avait encore une majestueuse halle. On discutait, on s’amusait. Avec le temps, les choses ont bien changé, comme le montre bien le livre récemment paru.

 

Parmi ce qui m’a sans doute le plus frappé, il y a le déclin des activités agricoles. Quand j’allais à l’école, on voyait le soir des vaches qui rentraient à l’étable dans le bourg même et les terres étaient cultivées. Un ancien maire (M. Lescure) m’a dit il y a maintenant des années qu’après la seconde guerre mondiale il y avait environ 70 exploitants agricoles sur la commune, dont ce n’était pas toujours la seule activité professionnelle (beaucoup d’agriculteurs travaillaient aussi à l’usine Progil au Lardin, selon un système de travail posté). Il me revient que cette usine, où on fabriquait encore la pâte à papier, dégageait des fumées d’odeur désagréable qu’il fallait bien supporter certains jours en fonction des vents dominants. Ces temps sont maintenant révolus.

La commune continue cependant à vivre. Elle s’agrandit même, avec la création de nouveaux lotissements ainsi que la construction d’une maison médicale. Ce développement s’effectue plutôt en périphérie du bourg historique, dont le centre tend à se vider : une proportion non négligeable des maisons y sont des résidences secondaires. Il est tout à fait compréhensible que les jeunes préfèrent faire construire une maison neuve bien isolée sur d’anciens terrains agricoles devenus constructibles qu’acheter un vieux bâti qui n’est plus aux normes actuelles.

Il reste encore cependant de l’activité économique sur la commune, heureusement, ainsi qu’une vie culturelle (avec notamment la très dynamique bibliothèque municipale). L’existence un « tiers lieu » central, où on peut se ravitailler, communiquer et se détendre avec d’autres (L’épicentre, après le TOP 24) est fondamentale. Mais pour certains achats, il faut aller dans une ville voisine, à condition bien sûr d’avoir accès à un moyen de transport automobile. La municipalité est très active pour favoriser le dynamisme de la commune et jusqu’à présent, cela ne va pas trop mal. Il y a du potentiel. Qui vivra verra.

Quant aux propriétés individuelles, elles passent de main en main avec le temps, leurs propriétaires n’en sont souvent guère plus que les intendants. C’est la vie. Pour conclure de manière raisonnablement neutre, affaire à suivre…

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